samedi 3 août 2013

En remontant le Quiquibey - Sur les traces du savoir indigène



Ils sont une trentaine de familles. Hommes, femmes et enfants appartenant à la communauté d’Asunción. En plein cœur de la jungle bolivienne, leur village est construit au bord du rio Quiquibey, affluent lointain du fleuve Amazone. Ils connaissent les secrets des plantes, travaillent la terre et vivent en quasi-autosuffisance. Mais tout leur savoir, leur monde est appelé à disparaître. Avec une insistance grandissante, l’ombre du progrès plane sur les dernières tribus indigènes de la forêt vierge. A croire que plus de cinq siècles après la découverte du nouveau continent, la colonisation n’a jamais vraiment pris fin.


En septembre 2011, une marche pacifiste réunissant un gros millier d’indigènes est stoppée net par la police bolivienne. A grand renfort de gaz lacrymogène, la police force les indiens à monter dans des camions. On les ramène vers leurs réserves.

Partis un mois plus tôt de la ville de Trinidad, les manifestants cherchaient à rejoindre la capitale La Paz, six-cents kilomètres plus loin. Ils protestaient contre un nouveau projet de route à travers la jungle et la réserve indigène du parc Isiboro Secure. Les indigènes moxenos, yurakarés et chimanes craignaient non seulement que cette axe coupe leur territoire en deux, mais surtout qu'il provoque l'arrivée de nouveaux colons, voir de narcotrafiquants.

Bilan de cette sombre journée du 25 septembre : la mort d'un nourrisson, ainsi que plusieurs disparus et blessés graves. Dans la presse nationale et internationale, l'incident fait grand bruit. Trois ministres sont contraints de démissionner alors que des mouvements de solidarité éclatent un peu partout en Bolivie. Comme à Rurrenabaque où un rassemblement empêche l'atterrissage de l'avion Hercule missionné par le gouvernement pour ramener les manifestants jusqu'à Trinidad.

Ogan, un indigène mosetene était là, solidaire de ses frères moxenos, yurakarés et chimanes. Il déplore la réaction des autorités qui après les événements se sont renvoyées la balle pour designer un coupable. « Aujourd'hui le gouvernement voudrait nous faire croire que ce sont les chefs de la police qui ont donné l'ordre d'attaquer les manifestants. Mais seul le gouvernement aurait eu ensuite le pouvoir d'affréter un avion militaire. »



Le parc du Pilon Lajas, sa faune et sa flore. La réserve abrite également vingt deux communautés indigènes. Malheureusement, cette zone protégée est convoitée par les compagnies pétrolières toujours à la recherche de nouveaux gisements.



Rurrenabaque, ville touristique située aux portes de l‘Amazonie. Sur la rive du rio Beni, Ogan nous attend près de sa pirogue. La petite trentaine, c'est un type massif. Ses larges épaules témoignent de toute une enfance passée à parcourir la jungle. Quelques minutes plus tard, le moteur de l'embarcation démarre et nous commençons à remonter la rivière. D'abord le rio Beni, puis le rio Quiquibey dont nous longeons les berges afin d'éviter le courant très fort et les terribles tourbillons qui nous distinguons parfois au milieu de l'eau. Comme la pirogue passe juste sous l'ombre des grands arbres, une véritable cascade de chants d'oiseaux découle jusqu'à nos oreilles. La forêt impénétrable semble courir jusqu'à l'horizon. Comme ces plantes grimpantes qui recouvrent parfois les vieux murs des maisons, elle renvoie l'image d'une marée verte vorace dévorant tout sur son passage. La déferlante végétale escalade jusqu’au sommet des montagnes, enserrant les rocs gigantesques entre ses racines.

Nous stoppons un instant au poste des guardaparques. Les rangers indiquent que nous pénétrons à présent dans la réserve du Pilón Lajas. Ce territoire indigène abrite une vingtaine de communautés appartenant à diverses ethnies: t’simanes, tacanes, mosetenes ... Chacune ayant son propre langage et des traditions culturelles bien déterminées. Dans les recoins isolés de la forêt profonde, on parle néanmoins de tribus non contactées qui vivent totalement isolées du monde moderne. Ces populations refusent - parfois avec agressivité - toute relation avec l‘extérieur.



« Nous avons une école, un terrain de foot, 
un terrain de basket et un autre de volley. 
Nous sommes même en train de construire un petit hôpital. » 



Un peu plus tard, nous apercevons le village dans une courbe du rio. Quelques toits en palmes tressées dépassent du couvert des arbres. Sur la rive, un groupe de femmes lavent du linge pendant que les jeunes enfants jouent dans l'eau. Bienvenue à la communauté d'Asunción del Quiquibey. « Nous avons une école, un terrain de foot, un terrain de basket et un autre de volley. Nous sommes même en train de construire un petit hôpital », explique Ogan alors que nous mettons pied à terre. Une trentaine de familles vivent ici, à peu près cent quatre-vingt individus et une population qui augmente au fil des ans. Il s'agit d'indiens mosetenes dont le dialecte n'est connu que de quelques centaines de personnes dans le monde. Il existe même une poignée de textes écrits, mais aucun professeur pour transmettre ce savoir. Depuis qu'une école et trois classes ont ouvert à Asunción, la plupart des habitants parlent également l'espagnol.




Asunción del Quiquibey : vues du village. La toiture des constructions indigènes est conçue en palmes tressés. Elle reste imperméable aux eaux de pluie quatorze années après sa fabrication.



On pourrait croire que ces hommes vivent là depuis la nuit des temps. C’est faux. En réalité, les mosetenes du Quiquibey se sont installés ici il y a une quarantaine d’années, leur terre d’origine se trouvant menacée par la déforestation. Le village actuel est construit tout autour d’une immense clairière qu’il a fallut défricher à la main lorsque les premiers habitants sont arrivés. On trouve là le terrain de foot, l’école et quelques huttes dont la casa communale. Comme la plupart des constructions, il s'agit d'un simple toit en palme posé sur des piliers en bois. C'est ici que les habitants se réunissent pour tenir conseil. 




Les mosetenes du Quiquibey, série de portraits. Sur l'une des photos, Ogan montre un sábalo fraîchement sortie des eaux du rio. Les mosetenes utilisent plusieurs techniques pour la pèche : filets, lignes, plantes empoisonnées… et l’arc de juillet à octobre, lorsque l'eau de la rivière est bien claire.



La communauté est dirigée par un chef. Lequel est épaulé par cinq conseillers « municipaux ». Il existe également un texte édictant les règles du village. Le gouvernement bolivien autorise les communautés indigènes à se munir de leurs propres constitutions, même si cela pose de nombreux problèmes d'ordre juridique. Dans ce document rédigé en espagnol, on trouve - entre autre - les principes de réciprocité et de partage de la nourriture. Le chasseur est par exemple obligé de partager le fruit de sa chasse à parts égales, sans préférences ni privilèges. Les orphelins, les veuves, les personnes âgées ou malades ne travaillent pas et sont soutenus par les autres membres de la communauté.


Sous le técho de la cede communale : le bivouac.


Quelques maisons comme l’école, sont équipées de panneaux solaires. Les autres n’ont pas l’électricité. Ce qui n’a pas vraiment d’importance : les indigènes se lèvent et se couchent en même temps que le soleil. L’eau est acheminée depuis une source potable située à un kilomètre et demi du village. Comme le nombre d’habitants augmente, les indigènes d’Asunción vont bientôt mettre en place un nouveau système de canalisation pour capter une source au débit plus important. « Par son développement, Asunción del Quiquibey est appelé à jouer un rôle central pour les autres communautés de la région. Nous avons donc lancé plusieurs projets... Comme la construction du centre de soin. » Explique Ogan en montrant le bâtiment flambant neuf qui accueillera bientôt un médecin et du personnel médical. « Les indigènes du Quiquibey, mais aussi des communautés voisines pourront venir se faire soigner ici. Ils n‘auront plus à descendre jusqu‘à Rurrenabaque, trois heures de pirogues plus loin. »





Il n’y a pas d’électricité à Asunción del QuiquibeyUne poignée de maison ainsi que l’école sont en revanche équipées de panneaux solaires. 
L’eau est acheminée par un système de canalisation depuis une source potable située à un kilomètre et demi du village.



Un autre projet cher aux habitants d’Asunción est la construction d’une auberge permettant d’accueillir des touristes au sein même du village. En pratiquant ce genre d’ouverture, les natifs espèrent avant tout se donner une importance économique aux yeux du gouvernement. Ogan est partie intégrante de cette nouvelle dynamique. Après avoir suivi l'école élémentaire à la communauté, il a étudié le tourisme à Rurrenabaque. Grâce à cette expérience, il balbutie même quelques mots d'anglais. Quand nous évoquons la venue future des touristes et les éventuelles menaces que cela entraînerait pour la tranquillité du village, Ogan coupe court à la discussion : « Notre but, c'est de garder le contrôle total sur ce projet. Dans l'idéal, nous espérons même ouvrir notre propre agence touristique en ville. »




Dans les profondeurs de la jungle



De quelques coups de machette, Jacinto ouvre le sentier à travers la jungle. Moins trapu qu'Ogan, le bougre n'en paraît pas moins à l'aise dans cet environnement où la végétation et les insectes en calmeraient plus d'un. Il s’arrête au pied d’un tronc immense : « ça c'est le momoqui, l'arbre que nous utilisons pour construire nos maisons. Une fois séché, ce bois est tellement dur qu'il est presque impossible d'y planter un clou. Nous ne coupons que pendant les périodes de lune décroissante (période qui suit la pleine lune, jusqu’à la nouvelle lune) pour que la sève descende de l'arbre. » Plus loin, nous repérons l'empreinte d'un gros félin. Probablement un puma venu se désaltérer cette nuit dans le ruisseau qui court entre les arbres. La forme des griffes se distingue parfaitement dans la terre mouillée. L'animal est là, quelque part. Peut être à dix kilomètres, peut être à portée de voix. 



Traces de griffes sur un arbre et empreintes du fauve.



Nous nous arrêtons ensuite au pied d’un palmier marcheur. Pour survivre à la rudesse de la jungle, la plupart des plantes ont développé leurs systèmes de défense. Certaines sont simplement couvertes d’épines, d‘autres sont empoisonnées. Mais le palmier marcheur fait preuve de plus d’originalité : c’est un arbre capable de se déplacer pour trouver le meilleur sol ou l’endroit le plus ensoleillé. Son tronc est monté sur ses racines comme sur des échasses et ces dernières poussent dans une direction en se desséchant de l’autre. Il peut ainsi avancer d’une trentaine de centimètres par ans. 



Le palmier marcheur, debout sur ses racines. Un arbre fantastique, capable de se déplacer pour trouver le meilleur sol ou l’endroit le plus ensoleillé.




Très vite il parait évident que la jungle ne recèle plus aucun secret pour les indigènes. Jacinto, qui nous guide à travers la forêt, semble connaitre les vertus de chaque plantes, les caractéristiques de chaque bois. « Ça, c'est la chito. Quand la nourriture manque, on utilise ces feuilles pour pêcher un maximum de poissons en peu de temps. Il suffit simplement de les écraser, puis de les jeter dans une de ces petites mares qui apparaissent à la fin de la saison des pluies, lorsque la rivière baisse de niveau. En quelques minutes, tous les poissons remontent à la surface, morts intoxiqués mais parfaitement comestibles. Là bas, c'est le chima (il désigne un palmier à l'écorce sombre). C'est ce bois flexible dont nous nous servons pour fabriquer nos arcs et les pointes de nos flèches. » Quant à la corde, les indigènes utilisent l’Ambaibillo, un arbre dont l’écorce est dépecée et les fibres effilées puis tressées. 



« La seule chose en laquelle nous croyons,
c’est la pacha mama - la terre mère - 
car c’est elle qui nous donne tout ce dont nous avons besoin. »



La jungle est un environnement d‘une immense richesse. De par leur savoir, les indigènes du Quiquibey ont appris à tirer le maximum de ce milieu pourtant hostile en apparence. « Nous n’avons pas de religion. La seule chose en laquelle nous croyons, c’est la pacha mama - la terre mère - car c’est elle qui nous donne tout ce dont nous avons besoin » lâche Ogan lorsque nous évoquons l’autarcie de la communauté. Sans le carburant qu’ils utilisent massivement pour le moteur de leurs pirogues, les habitants d’Asunción pourraient vivre en circuit fermé des années durant.




Tressage d'un panier servant pendant les récoltes.



Concernant la nourriture, leur approvisionnement en denrées repose sur une agriculture variée et un vaste panel de techniques différentes pour la chasse et la pêche. La forêt vierge regorge de gibier. Pour chasser, les indigènes utilisent aussi bien l’arc que l’escopette, un fusil artisanal conçu avec un morceau de tuyauterie. Lors de certaines traques, il leur arrive également de poser des pièges. Pour le poisson, il y a les filets, les lignes, les plantes empoisonnées… Et quand l’eau du rio est bien claire, les arcs. Une autre pratique consiste à utiliser un poison naturel qui ralenti le poisson et le rend plus facile à flécher. Cette pluralité de moyens dont les indigènes disposent pour trouver de la nourriture est un point très important. De ce fait, les habitants d’Asunción sont parfaitement à l’abris d’éventuelles périodes de besoin.




Le tacu et la manija, afin de séparer les grains de riz de leurs enveloppes.



A cette époque la moisson du riz touche à sa fin. Les récoltes sèchent au soleil ou dans les greniers. Plus tard, les femmes du village utiliseront le tacu et la manija pour séparer le grain blanc de son enveloppe brune. Les villageois cultivent également du maïs, de la yuca (manioc sud-américain) et quantité de bananes plantains. Sans compter le nombre impressionnant d’arbres fruitiers (papayes, cocos, agrumes divers…) ainsi que quelques cultures de cacao, de cannes à sucre et de cotonniers. En marchant à travers les plants, Ogan cueille une petite boule d’ouate couleur crème : du coton, qui sera ensuite filé par les femmes du village, puis teint à l’aide de colorants naturels. Enfin, à force de longues heures passées sur d’antiques métiers à tisser, apparaîtra un marico. Ces sacs à bandoulières que les hommes du village utilisent en toutes circonstances, pendant les labours comme pour la chasse.



Tissage d'un marico.
Ces sacs de coton se portent en bandoulière.




Filage de la laine par une femme du village. Le coton est cultivé à la communauté, 
filé, puis teint à l’aide de colorants naturels.




Petit matin sur la jungle. Les arbres sont encore noyés dans la brume et une véritable tempête sonore envahit la forêt. Comment une oreille - même relativement entraînée - pourrait elle déterminer avec précision l’origine de chacun de ces bruits étranges ? Certains sons paraissent mystérieusement amplifiés. Comme le chant de cet oiseau qui rappelle le "ploc" d'une goutte d'eau avec un étrange effet de réverbération. Soudain, une série d’aboiements et de beuglements furieux déchirent le calme matinal. Un chien lancé à la poursuite d’une truie terrorisée passe en hurlant à la mort dans tout le village. La cloche de l’école retentit et les enfants en uniforme s'en vont pieds nus sur le chemin de l’école.

Plus loin sur le sentier, la casa de Jacinto. L’ami habite ici avec ses deux petits garçons, sa femme et ses deux filles (auxquels s’ajoute toute une flopée d’animaux: chiens, cochons, coq, poules, canards…). La vie de la famille s’articule autour de deux bâtisses. La première est un haut toit en feuilles de palmes que Jacinto a bâti de ses mains. Une telle structure, totalement conçue à base de matériaux naturels, reste imperméable aux eaux de pluie plus de quinze ans après sa construction. Il y a là deux lits (les enfants dorment tous ensemble) sous des moustiquaires. En guise de matelas, deux esteras : des paillasses conçues avec des feuilles de canne flèche (une sorte de roseau que les indigènes appellent cañabrava). Une autre bâtisse fait office de cuisine. La pièce est sombre malgré le petit feu qui brûle continuellement dans un coin. Accroupi sur la terre battue, Jacinto prépare quelques empañadas, ces petits pains fourrés à la viande ou au fromage. Sa femme dépose une vieille poêle noircie au dessus des flammes. 



« Attraper quelques piranhas pour le repas du soir… »



 « Nous allons voir si nous avons de la chance aujourd‘hui… » souffle Jacinto entre deux bouchées. En effet, aussitôt nos assiettes vidées, Jacinto et Ogan fourrent chacun un morceau de viande dans leurs maricos et nous nous mettons en route pour un lac situé à une petite heure du village. Le but de l’expédition est d’attraper quelques piranhas pour le repas du soir. Il suffit d’une simple ligne enroulée autour d‘un morceau de bois. Pas de canne ni de bouchon, juste un plomb et un gros hameçon. On rajoute cependant un petit morceau de fil de fer entre la ligne et l’hameçon pour éviter que les piranhas ne viennent trancher tout ça d’un simple coup de mâchoire.



La pêche des piranhas, délicieux une fois frits.




La suite est une question de réactivité. Quand ils attaquent, ces diables mettent une poignée de secondes à dévorer le morceau de viande sur l‘hameçon. Il s’agit donc de ferrer d’un coup sec et très rapidement. Ogan fait cela tellement bien, qu’une fois sur deux il tombe en arrière, emporté par son élan. En deux heures, nous sortons une quinzaine de piranhas et quelques poissons chats. Les deux indigènes enveloppent le tout avec de grosses feuilles d’arbre et hop, dans le marico ! Toutes nos prises seront partagées le soir même avec les habitants de la communauté.



Tressage d'une estera, sorte de paillasse en feuilles de cañabrava.


Retour au village, nous sommes dans la casa d’Ogan. Un arc et des flèches sont posés dans un coin. Les flèches les plus grandes (presque un mètre cinquante) servent pour la pèche. Leur longueur les empêche de dévier de leur trajectoire lorsqu’elles pénètrent dans l’eau. Juste à coté, le petit feu est presque éteint. Au dessus des cendres encore fumantes, sur une grille couverte de suie, un morceau de viande de tapir et une grosse tête de poisson chat. Assise en tailleur à même la terre battue, la femme d’Ogan tresse une estera. Ses gestes sont rapides, pleins d‘automatismes. Si bien qu’en un quart d’heure, la natte est terminée. 



Un savoir glané au fil des siècles


Il y a mille ans, c’était les mêmes mouvements, les mêmes habitudes remontant à la nuit des temps qui venaient à bout des tâches journalières. Aujourd’hui, à Asunción del Quiquibey, on continue d’entretenir ce savoir. Comme l’explique Ogan : « à Rurrenabaque, les démonstrations sur les traditions indigènes auxquels assistent les touristes ne sont que du spectacle. Des acteurs enfilent un costume et utilisent des objets qui ne font plus partie de leur quotidien depuis des années. Ici, à la communauté, il ne s‘agit pas d’une pièce de théâtre. C’est ainsi que nous vivons ».




La fabrication des flèches. Les pointes sont taillées dans du bois de Chima. 
C'est cette même palme noire que les mosetenes utilisent pour fabriquer leurs arcs.



À Rurrenabaque, on trouve également des tours "voyage à l’ayahuasca" avec petit-déjeuner compris et chaman bilingue anglais/espagnol. Ogan nous parle aussi de certaines agences qui prêtent des machettes aux touristes lors des excursions dans la jungle. Groupe après groupe, la forêt est ainsi saignée sans ménagement ni raison par des vacanciers jouant à Indiana Jones. 




Pour la fabrication de leurs pirogues, les indigènes utilisent souvent le cèdre, l’hitauba ou l’hochoha (un arbre de la jungle dont la sève est urticante). Ce sont des bois très durs, résistant à l’épreuve des termites et du temps. Quatre jours de travail suffisent pour qu’une nouvelle pirogue soit mise à l’eau. C’est bien peu quand on sait qu’une telle embarcation servira encore dans une quinzaine d’années.



Lorsqu’il s’avance pour souiller les derniers jardins de la terre, le malin peut revêtir plusieurs masques. Le tourisme n’est qu’un subterfuge parmi d’autres. Depuis quelques années, c’est dans le costume du prospecteur de compagnie pétrolière que « les nouveaux colonisateurs » - comme les appelle Ogan - saluent régulièrement les indigènes du Pilón Lajas. Golf, Shell et Total ont menés plusieurs campagnes d’exploration dans la région depuis les années 1970. Il est possible que la zone recèle des gisements d’hydrocarbures. Aucune extraction n’a débuté pour le moment, grâce au statut de secteur protégé. Mais en 2003, un projet de lois visant à autoriser l’installation des exploitants pétroliers sur certaines réserves naturelles était examiné par le gouvernement bolivien.



Bosquet des Mapojos : Impossible de savoir l’âge de ces arbres. 
Pour en faire le tour, on compte une vingtaine de mètres.




Face à de telles prétentions, les habitants du Quiquibey savent qu’ils ne pourront pas garder leur destin en main bien longtemps. Divers institutions sont censées représenter la cause des natifs. Il existe même une organisation internationale basée en équateur. Mais tout cela ne pèse pas bien lourd pour contenir le grand incendie qui s’apprête à ravager la bibliothèque du savoir indigène. Car il ne s'agit pas là de la simple disparition d'un groupe d'individus. De la forêt amazonienne aux sommets de la cordillère des Andes, c’est un savoir, un mode de vie et une vision du monde qui se perdent à jamais.



Un projet de centrale hydro-électrique pourrait venir bouleverser les rivières du Pilon Lajas d'ici quelques années.


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Comment se rendre à Asunción del Quiquibey 


   Avec le développement d’un projet d’éco-tourisme au sein même de la communauté, le savoir indigène devient accessible à tous, sans passer par les livres d’anthropologie. Pour se rendre à Asunción del Quiquibey, il faut d’abord gagner La Paz. Sachant que l’aéroport de la capitale bolivienne n’est pas desservi par les vols Air France, prévoir une escale à Madrid ou Lima (Pérou). 

Pour aller ensuite jusqu’à Rurrenabaque, il existe deux solutions: l’avion ou le bus. Dans ce deuxième cas prévoir une vingtaine d’heures de trajet à bord d’un bus dépourvu de tout confort et sur des routes de terres complètement cabossées. Une fois cette épreuve passée, il ne reste plus qu’à faire une demande à l’office de direction du parc (réserve de la biosphère et territoire indigène du Pilón Lajas).

Les indigènes viendront directement vous chercher en pirogue à Rurrenabaque. Comptez à peu près trente euros par jour pour la nourriture, le carburant de l’embarcation et le guide dépêcher parmi la communauté pour vous accompagner tout au long du séjour. 




Grosse partie de foot, le soir tombe sur la jungle.



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Le crépuscule des peuples natifs


   Les premières grandes exactions contre les populations indigènes interviennent avec le boom du caoutchouc dans la deuxième partie du XIXème siècle. L’esclavage, les massacres et la propagation d’épidémies contre lesquelles les peuples natifs n’étaient pas immunisés eurent des effets dévastateurs. Pendant cette période, la population indigène d’Amazonie fut exterminée à 90% (d’après l’ONG Survival International). Les atrocités se perpétrèrent pendant toute la durée du XXe siècle. 

En 1963, eu lieu le massacre du onzième parallèle au Brésil. Les villages des tribus de Cinta Larga se trouvaient sur la route des activités commerciales de l’entreprise d’exploitation de caoutchouc Arruda, Junqueira & Co. Le directeur de cette compagnie, Antonio Mascarenha Junqueira affréta un avion pour larguer des bâtons de dynamite sur les villages et « éliminer ces pestiférés ». Puis ses hommes de main furent envoyés sur les lieux afin d’achever les derniers survivants.

Aujourd’hui, les actes génocidaires n’ont pas cessés. On peut notamment évoquer le cas des tribus du Rio Prado, toujours au Brésil. Les derniers représentants de ces peuplades sont mis en déroute par les exploitants de bois « lourdement armés » (toujours d’après un rapport de Survival International).

Les autres menaces pour les populations d’Amazonie sont à mettre sur le compte du progrès. Les pays d’Amérique Latine traversant actuellement une phase de développement effréné. Constructions de nouvelles routes, de centrales hydro-électriques, recherche de gisements de pétrole ou de gaz naturel sont autant de menaces pour les territoires indigènes.

La forêt vierge est aussi continuellement rongée par les communautés agricoles qui empiètent sur la jungle pour créer de nouvelles parcelles cultivables. Au Brésil, ces expropriations entraînent des vagues de suicides au sein des tribus.



Textes Hugo Charpentier - Photos Arthur Courtois

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